Un an après l’assaut du Capitole par des militants pro-Trump aux États-Unis, l’extrême droite et la complosphère affirment qu’un complot sanitaire pour truquer l’élection présidentielle serait déjà en cours et incitent à la révolte.
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Aux USA
Il y a un an aux États-Unis, trois forces s’alliaient pour tenter de faire dérailler la transition pacifique du pouvoir : des milices suprémacistes, des adeptes de la mouvance complotiste Qanon, et des militants pro-Trump. Après des mois de campagnes de désinformation savamment orchestrée sur les réseaux sociaux, cette alliance considère alors que l’élection américaine a été truquée, et qu’il ne resterait que la force pour rétablir la démocratie. Le bilan : 5 morts, plus de 130 blessés, et un modèle politique irrémédiablement fracturé.
En France
En France, après près de deux ans de contestation sanitaire où la complosphère et l’extrême droite ont marché côte à côte, et à moins de trois mois d’une élection présidentielle cruciale, ces deux mouvances viennent peut-être de trouver, elles aussi, la bannière sous laquelle se mobiliser. Une bannière brandie, là encore, par un candidat à l’élection : Éric Zemmour.
« Ne tombons pas dans le piège d’Emmanuel Macron, ne nous laissons pas voler cette élection ! », a déclaré le candidat d’extrême droite condamné pour « provocation à la discrimination raciale », le 4 janvier. Il accuse le président de « faire du Covid le sujet de la présidentielle pour faire oublier le destin de la France ». « Quand Zemmour accuse Macron de vouloir voler l’élection c’est un « Stop the steal! » à la française », résume Laurence Bindner, spécialiste de la radicalisation et co-fondatrice de JOS Project, en référence au slogan trumpiste qui a conduit à l’insurrection du 6 janvier.
À l’époque, alors qu’il n’était encore qu’éditorialiste, Éric Zemmour avait relativisé la gravité des événements. « C’est l’insurrection d’un peuple trumpiste désespéré […]. Ils n’avaient même pas d’objectifs insurrectionnels, c’est une révolte, une jacquerie », déclarait-il sur le plateau de CNews le 7 janvier. Pour lui, « la presse américaine et la presse française rêvaient de cette situation pour pouvoir crier au scandale et au fascisme » et « les vraies menaces pour la démocratie sont Facebook et Twitter, ce n’est pas Davy Crockett ».
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« Tricherie », « magouille » et « révolution »
Un mois plus tard, alors qu’il avait semblé reconnaître la victoire de Joe Biden, l’ex polémiste affirmait, toujours sur CNews : « On a compris avec les États-Unis que les machines à voter pouvaient être piratées, que leur logiciel favorisait Biden au détriment de Trump. Avec le vote par anticipation on veut fausser la prochaine élection présidentielle. Ça pue la magouille ! »
Le 6 janvier, alors que les adeptes de Trump n’avaient pas encore percé les défenses du Capitole, Zemmour affirmait que, malgré la défaite de Trump, « le trumpisme et le populisme en général reste quand même le mouvement de l’avenir ».
Pour la fachosphère, si l’élection présidentielle française ne porte pas au pouvoir l’extrême droite identitaire, c’est donc qu’elle sera forcément truquée. Dès décembre, Thais d’Escufon, soutien de Zemmour et ex porte-parole du groupuscule d’extrême droite Génération identitaire, dissous pour incitation « à la haine et à la violence envers les étrangers et la religion musulmane », a allumé la mèche. « Préparez-vous à entendre parler du vote par correspondance comme mesure sanitaire pour lutter contre le covid (pour ne pas dire Zemmour). Ils préparent le terrain avec le passeport vaccinal », écrit-elle le 20 décembre sur Gettr, réseau social fondé par Jason Miller, ancien directeur de campagne… de Donald Trump. « Le système va sortir toutes ses cartes pour tuer le sursaut identitaire dans l’œuf. Y compris celle de la tricherie », croit-elle savoir, prétendant que les non-vaccinés pourraient se voir refuser le droit de voter.
Il y a un an, elle s’était réjouie de l’action lancée par ses homologues américains, avant d’affirmer quelques jours plus tard que s’il y avait eu un « coup d’État », c’était celui « des GAFAM », qui ont banni de nombreux activistes pro-Trump après l’insurrection. Une mesure « bien plus grave que la petite émeute qu’il a pu y avoir au Capitole », selon elle.
Du côté des mouvements d’oppositions aux mesures sanitaires, largement dirigés par l’extrême droite, la tentation insurrectionnelle est encore plus claire. Le 4 janvier, Florian Philippot, chef d’orchestre des mobilisations anti-vaccins, a réagi sans ambages aux déclarations d’Emmanuel Macron annonçant qu’il allait « emmerder » les non-vaccinés, accusés de ne plus être des citoyens. « Les propos de Macron méritent une révolution de 1789 puissance 10 ! », a tweeté l’ex vice-président du Front national.

Le 8 janvier, au cours de la manifestation contre le pass vaccinal organisée à Paris, les militants ont reçu un soutien de poids. Juste après une allocution de Marion Maréchal, les participants ont pu regarder sur grand écran le message que leur avait envoyé Steve Bannon depuis sa « War Room » : « Nous menons tous en ce moment un combat contre les pass vaccinaux et l’ingérence de l’élite mondialiste », lâche l’ancien conseiller de Donald Trump, assurant les antivax français que leur combat inspire tous les « souverainistes » de la planète. Bannon, suspecté d’avoir activement participé à la planification de l’insurrection du 6 janvier, est poursuivi par la commission d’enquête de la Chambre des représentants pour son refus de coopérer.
Une épidémie de radicalisation
Pour Laurence Bindner, l’alliance entre l’extrême droite et les mouvances conspirationnistes n’a rien de contre-nature. « Ils partagent un sentiment de victimisation ainsi que la sensation d’être en situation de légitime défense et de danger existentiel », explique-t-elle. « Dans le terrorisme d’ultra droite, il y a cette idée d’un prétendu génocide blanc ou du grand remplacement : l’homme blanc serait menacé et devrait donc passer à l’attaque. On retrouve la même chose chez les conspirationnistes, persuadés qu’une machination liberticide, voire pour certains un génocide, seraient en cours sous couvert de crise sanitaire ».
Les discours incendiaires d’Eric Zemmour, Thais d’Escufon ou Florian Philippot ne doivent donc pas être pris à la légère. Pour de plus en plus d’experts et d’agences de renseignement, en France et ailleurs, l’alliance entre l’extrême droite et les mouvements complotistes représente bel et bien une menace de sécurité intérieure. Une menace qui n’a rien de fictive, comme les Américains l’ont découvert trop tard.
En Allemagne, des projets d’attentats conçus au sein des sphères anti-vaccins et d’extrême-droite ont été déjoués, et le mouvement s’est considérablement radicalisé. Déjà en août 2020, quelques mois avant l’insurrection à Washington, des manifestants anti-masques appuyés par des groupes d’extrême droite avaient tenté d’envahir le Bundestag. En Australie, où des manifestants anti restrictions sanitaires ont mis le feu à l’ancien bâtiment du parlement à Canberra en décembre, des analystes s’inquiètent d’un risque croissant de passage à l’acte violent. En France, la DGSI affirme aussi garder un œil sur l’éventuelle radicalisation de cellules conspirationnistes. L’an passé, un projet de coup d’État fomenté par Rémi Daillet, influent gourou complotiste et néo-nazi, a été stoppé. Rémi Daillet et ses disciples comptaient non seulement marcher sur l’Élysée équipés d’explosifs, mais aussi s’en prendre à des cibles maçonniques ou juives.
Dans le même temps, les mobilisations contre les restrictions sanitaires en France ont déjà été l’occasion d’agressions de journalistes, de soignants et de pharmaciens. Des centres de vaccinations ont été attaqués et les violences physiques contre les élus politiques ont augmenté de 47 % en 2021.
Pour Laurence Bindner, la marginalisation croissante des mouvements opposés aux restrictions sanitaires pourrait augmenter le risque de violence. « Certains de ces militants pourraient être amenés à penser que malgré de nombreuses manifestations, ils sont désormais en minorité, et donc se sentir ostracisés. La voie pacifique peut alors finir par leur apparaître comme obsolète, avec la violence comme dernier recours. » Un ressentiment qui constitue apparemment un levier électoral comme un autre pour certains candidats à la présidentielle. Au risque du dérapage de trop.
Article mis à jour le 16.01.2022 à 17h56 : Ajout de l’extrait du message de Steve Bannon aux manifestants anti-pass français (photo).
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