Le 28 septembre, un étudiant de 19 ans a jeté un œuf sur Emmanuel Macron au milieu d’un bain de foule. Placé en garde à vue, il aurait été hospitalisé sous contrainte en hôpital psychiatrique. Il pourrait être un militant d’extrême-gauche, mais peu d’information complémentaire a filtré sur les raisons de cette hospitalisation sous contrainte présumée.
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Le blog Les Moutons Enragés a repris cet événement et s’en est servi comme d’une tribune pour parler des problèmes inhérents aux hospitalisations sans consentement en psychiatrie et leurs dérives.
Penchons-nous sur les propos de son auteur.
« Un psychiatre peut conclure à l’abolition de votre discernement et hop ! Bouclé, drogué, voire électrochoqué. »
Cette phrase est fausse pour plusieurs raisons : déjà, il est très rare qu’une hospitalisation sous contrainte (HSC) soit décidée sur la seule décision d’un psychiatre : en fait, c’est possible dans un seul et unique cas : quand la personne est en péril imminent, c’est-à-dire qu’elle risque d’être dangereuse pour elle-même à très court terme (par exemple, en cas de risque suicidaire élevé). Dans les autres cas, il faut soit un proche, soit un représentant de l’Etat (généralement le préfet) si la personne trouble l’ordre public, et le plus souvent, on essaie d’avoir 2 certificats médicaux de 2 médecins différents. Mais surtout, quel que soit le type d’HSC, elle doit forcément être réévaluée dans les 24h, puis dans les 72h, par la rédaction de 2 certificats : un somatique (la dimension médicale physique), et un psychiatrique, parfois obligatoirement rédigé par 2 psychiatres différents.
Il est donc faux de dire qu’un psychiatre peut vous hospitaliser sous contrainte sur sa seule volonté, ou du moins pas plus de 72h. La loi prévoit que pour une HSC supérieure à 72h, deux certificats médicaux doivent être rédigés par deux psychiatres différents, comme le stipulent les articles L3212 et L3213 du Code de Santé Publique.
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Verdict : Non, un psychiatre ne peut pas décider seul de vous hospitaliser sous contrainte plus de 24h.
« Bouclé, drogué, voire électrochoqué. – pardon sismochoqué, le terme est plus soft, voire plus chic qu’un électrochoc -, mais le résultat sera le même. »
Le terme « bouclé » peut être compris au sens figuré (« emmené, emporté »), mais aussi au sens propre, auquel cas c’est évidemment faux. La contention physique, qui est le fait d’entraver les mouvements d’une personne dans le but de la protéger elle-même et/ou les personnels soignants et/ou les autres patients, est prescrite uniquement en dernier recours, après échec de contention chimique, c’est-à-dire de prescription de traitements anxiolytiques et sédatifs, ou en cas d’insuffisance de ceux-ci. Elle est prescrite par un médecin pour une durée maximale de 6 heures et peut être renouvelée au maximum sur une durée de 24 heures. Dans le cas où la contention physique devrait excéder 24 heures, intervient un acteur fondamental en psychiatrie : le Juge des Libertés et de la Détention (JLD). Le JLD n’est pas médecin mais juriste, et a pour rôle de protéger les droits des personnes en HSC. Il peut être saisi par absolument n’importe qui (le patient, un proche, un soignant…) pour examiner la situation et lever les mesures qu’il juge inadaptées sous 24 heures.
Dans les faits, pour avoir travaillé en HSC et aux Urgences, il est rarissime que des patients soient contentionnés physiquement plus de quelques heures, temps nécessaire pour mettre en place une perfusion et une sédation médicamenteuse efficace. La plupart des patients contentionnés sont d’ailleurs bien plus des personnes âgées démentes que des personnes atteintes de troubles psychiatriques autres, comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire. Ceux-ci sont généralement calmes et coopérants et acceptent de prendre des médicaments qui leur permettent d’interagir sans danger avec les soignants et les autres patients.
En revanche, si le JLD est garant des libertés de chacun, il est très peu connu des proches et des patients eux-mêmes, ce qui pose en effet un problème car si on ne connait pas l’existence d’un levier juridique, on ne peut pas l’utiliser.
Un deuxième point pose problème dans cette phrase : l’évocation de la sismothérapie.
La sismothérapie est une thérapie non médicamenteuse peu connue du grand public et très mal vue du fait des TRES nombreuses dérives qui ont jalonné son histoire. Le principe est assez simple : faire passer du courant électrique dans le cerveau des gens pour les guérir de pathologies psychiatriques. Dit comme ça, ça parait barbare et terrifiant, en effet, mais il faut développer un peu. On ne sait pas à l’heure actuelle comment ça marche… mais ça marche. De nombreuses études ont démontré l’efficacité de la sismothérapie dans des cas bien précis, notamment les dépressions sévères résistantes aux traitements médicamenteux, la schizophrénie résistante et la catatonie. Ce n’est donc absolument pas un traitement de première intention, mais plutôt un dernier recours quand les médicaments et les psychothérapies ont été inefficaces ou insuffisantes. Mais surtout, ce n’est en aucun cas un traitement de l’urgence. La sismothérapie n’est jamais utilisée en urgence ou pour un risque vital immédiat, et de ce fait, comme toute procédure médicale non urgente et non vitale, elle nécessite le consentement du patient ou de son tuteur légal. Mais dans le cadre d’une schizophrénie résistante aux traitements chez un patient hospitalisé, il est absolument impossible, d’un point de vue légal, d’imposer une sismothérapie à un patient, même si son jugement est altéré, comme l’a bien rappelé le Ministère de la Santé en 2018 sur la base de l’article L1111-4 du CSP.
Verdict : Non, on ne peut pas être attaché et drogué, du moins pas plus de 24h, et la sismothérapie ne peut pas être faite sous contrainte.
« Donc, pendant 12 jours, vous pouvez être, sans votre consentement, bourré de psychotropes et ou subir une « sismothérapie ».
Cette phrase est fausse. L’auteur de l’article confond ici l’HSC, qui doit être confirmée ou levée sous 12 jours au maximum par le JLD, et les traitements prodigués au patient, qui eux, nécessitent le consentement de celui-ci, hors urgence ou risque vital. La seule chose qui se fasse sans consentement, c’est l’hospitalisation. Tous les autres actes doivent être acceptés par le patient, y compris les prises médicamenteuses, les séances de psychothérapies, et a fortiori, la sismothérapie si nécessaire. Il faut bien comprendre que l’HSC n’a pas pour but premier de traiter le patient mais de protéger lui-même en premier lieu, et la société en second temps. Le traitement des troubles ayant motivé l’HSC est la condition pour retrouver un fonctionnement compatible avec une liberté totale sans mise en danger de soi ou d’autrui, mais le droit français garantit à chaque patient le choix de se faire soigner ou non.
Dans tous les cas, la plupart des personnes en HSC sont en souffrance et veulent s’en sortir. Il est donc très rare qu’elles refusent toute aide, car elles veulent tout simplement aller mieux.
Verdict : Non, on ne peut pas imposer des traitements pendant les 12 premiers jours d’une HSC.
« Si vous pensez guérir d’un passage à vide en allant voir un psychiatre, oubliez. Au mieux, vous tomberez sur un praticien qui vous écoutera et vous fera un peu de bien, mais en général, vous ressortirez avec une ordonnance vous prescrivant un ou plusieurs neuroleptiques. »
Premièrement, la psychiatrie est une science, elle repose sur des données obtenues par des protocoles rigoureux et validés, et surtout : ça marche. La psychiatrie guérit et améliore les symptômes des patients atteints de pathologies psychiatriques : dépression, trouble bipolaire, Trouble Stress Post-Traumatique, schizophrénie…
Deuxièmement, il est question de prescription de neuroleptiques, qui regroupent les antipsychotiques, les anxiolytiques et les hypnotiques/sédatifs. Et c’est vrai : la France est l’une des championnes d’Europe de prescription d’anxiolytiques et de somnifères, ce qui est un énorme problème. Néanmoins, ce ne sont pas les psychiatres qui prescrivent tous ces traitements, mais bel et bien les médecins généralistes en immense majorité, pas les psychiatres. Les recommandations de bon usage du médicament en psychiatrie préconisent d’ailleurs depuis longtemps de limiter les prescriptions médicamenteuses en nombre et en durée et le traitement de première intention des troubles anxieux et dépressifs, les plus fréquents en psychiatrie, reste la psychothérapie, un traitement non médicamenteux.
Verdict : Non, le recours à un psychiatre n’implique pas nécessairement de prescription médicamenteuse.
Verdict : Oui, la psychiatrie a démontré son efficacité dans le traitement des troubles psychiatriques.
« En bref, cette pratique barbare [la sismothérapie] n’a aucun intérêt, sauf de vous cramer les neurones […]. En revanche, la petite cure de « sismo » risque fort de faire de vous un légume au fil des années. »
Bien sûr, si la sismothérapie est toujours pratiquée, c’est bien parce qu’elle est efficace, on l’a vu plus haut. Mais quid des effets secondaires ? En outre des pertes de mémoire, nausées et maux de tête évoqués dans l’article et malheureusement bien connus… et bien pas grand-chose en fait. Même chez les personnes âgées, seulement quelques cas d’hypertension et d’arythmie ont été détectées mais aucune “légumisation” , et ce serait même plutôt le contraire, puisqu’elle améliore les scores de test cognitifs chez les sujets âgés.
Verdict : Oui, la sismothérapie est efficace dans certaines indications.
Verdict : Non, la sismothérapie ne dégrade pas les fonctions intellectuelles à court ni à moyen terme.
« À ce propos, les vaccins Covid-19 qui malgré le fait qu’ils soient toujours en essais cliniques, […] provoquant beaucoup de décès et d’innombrables effets secondaires. […] dans […] EudraVigilance, 1 509 266 blessures ont été signalées, dont 15 472 décès, au 19 juin 2021.»
Concernant l’argument que les vaccins anti-covid sont encore en phase d’essai clinique, je vous renvoie à la mise au point du Monde publiée en juillet dernier. Quant à Eudravigilance, il s’agit d’une base de données déclarative qui recense les bases de données nationales des pays de l’UE où n’importe qui peut déclarer n’importe quoi sans rien prouver. Après la déclaration, chaque cas est scruté et investigué pour déterminer si oui ou non l’effet indésirable est lié au médicament.
Si on reprend le dernier rapport d’Eudravigilance à propos du vaccin Comirnaty de Pfizer en date du 6 octobre, les effets secondaires plausibles nouveaux sont l’érythème polyforme (bénin, 26 cas plausibles), les paresthésies/dysesthésies (effet secondaire assez fréquent après n’importe quel vaccin, 21 793 cas plausibles), la fatigue, la baisse d’appétit et les sueurs nocturnes (fréquence estimée à 1%). En revanche, les troubles menstruels rapportés par certaines femmes n’ont aucun lien avec le vaccin, de même que les glomérulonéphrites et syndromes néphrotiques, pour lesquels la surveillance se poursuit néanmoins.
Si l’on reprend la liste des effets secondaires potentiellement graves et/ou handicapants connus à l’heure actuelle de Comirnaty, on retrouve les allergies (comme pour tout médicament), les paralysies faciales périphériques (commun à tous les vaccins ou infections), la myopéricardite… et c’est tout. Au 16 juillet 2021, aucun décès n’avait été rapporté à la vaccination anti-covid en France.
Verdict : Non, les vaccins anti-covid19 n’entraînent que peu d’effets secondaires, et aucun décès à ce jour n’a pu être relié à la vaccination.
« Mal prescrits, mal utilisés, [les antidépresseurs] peuvent mettre le feu dans le cerveau et être à l’origine de détérioration cérébrale (troubles de mémoire, voire Alzheimer), modifications du comportement (agitation, confusion mentale, désinhibition…), malformations du fœtus, accidents de toute sorte (voitures, chutes notamment des personnes âgées) et jusqu’à des actes de violence de type infanticides, homicides, suicides. »
Encore une fois, c’est présenté de manière très trompeuse. Les antidépresseurs sont les médicaments psychotropes les mieux tolérés. Ils ne présentent que peu d’effets secondaires, et s’ils peuvent en effet entraîner des troubles du comportement, de l’humeur ou de l’anxiété ainsi que des troubles de la mémoire, ce n’est que dans 0.1-10% des cas.
En revanche, les antidépresseurs n’entraînent pas de maladie d’Alzheimer, et ce sont même des candidats très sérieux en prévention de son apparition, voire en traitement pour freiner sa progression, bien que les études aient seulement été réalisées sur des rats.
Les malformations fœtales, bien que rares, sont connues en cas de traitement antidépresseur, raison pour laquelle ils sont contre-indiqués chez la femme enceinte, sauf si le bénéfice pour la mère est supérieur au risque pour le bébé.
Concernant les accidents et les actes de violence, aucune source n’est donnée et la phrase est trop vague pour être vérifiée telle quelle. On peut imaginer que les effets secondaires connus des antidépresseurs pourraient en théorie amener à ce genre de comportements, mais rien ne le prouve à l’heure actuelle.
Verdict : Non, les antidépresseurs n’entraînent pas de maladie d’Alzheimer et les effets secondaires sont peu fréquents.
Nous ne nous étendrons pas sur la fin de l’article principalement composée de propos complotistes, et nous nous contenterons de cette réponse objective de simple fact-checking.
Pour résumer :
- Non, un psychiatre ne peut pas décider seul de vous hospitaliser sous contrainte plus de 24h.
- Non, on ne peut pas être attaché et drogué, du moins pas plus de 24h, et la sismothérapie ne peut pas être faite sous contrainte.
- Non, on ne peut pas imposer des traitements pendant les 12 premiers jours d’une HSC (ni même après, d’ailleurs).
- Non, le recours à un psychiatre n’implique pas nécessairement de prescription médicamenteuse.
- Oui, la psychiatrie a démontré son efficacité dans le traitement des troubles psychiatriques.
- Oui, la sismothérapie est efficace dans certaines indications.
- Non, la sismothérapie ne dégrade pas les fonctions intellectuelles à court ni à moyen terme.
- Non, les vaccins anti-covid19 n’entraînent que peu d’effets secondaires, et aucun décès à ce jour n’a pu être relié à la vaccination.
- Non, les antidépresseurs n’entraînent pas de maladie d’Alzheimer et les effets secondaires sont peu fréquents.
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